La virgule sociale du Printemps Arabe

Feu de paille ou mouvement de fond ? Une dépêche AFP relatée ici link et qui a notamment trouvé ce matin un écho sur France Culture  (à ré-écouter ici link ) puis France Info, est déjà reléguée aux derniers rangs de l'actualité. Pourtant, elle mérite une certaine attention. Nous parlons ici de la grève qui a commencé depuis hier 1er avril dans les centres d'appels tunisiens d'un leader français de la relation client.

 

Une grève a débuté hier dans les centres d'appel tunisiens de Téléperformance. Un peu plus de 50% de grévistes pour la direction, 80% pour les animateurs du mouvement. De prime abord, on considérera ce mouvement social comme insignifiant et sa médiatisation comme surévaluée.

 

Un mouvement insignifiant car car il semble que l'entreprise - à la lecture de ses premières déclarations - avait anticipé les revendications de ses sites tunisiens, par une revalorisation en 2012 et 2013 des rémunérations "supérieure aux accords conclus en 2010". Une médiatisation surévaluée  car toute information en provenance d'un pays en phase d'adaptation politique est scrutée à la loupe. Et pourtant.

 

Tout commence au début des années 2000 : quelques pionniers de la délocalisation des "centres de contact" mettent à profit leur connaissance de pays à la fois francophones et "tolérants" au plan du droit du travail. L'Ile Maurice, la Roumanie et les pays du Maghreb (principalement le Maroc et la Tunisie) deviennent au fil du temps des références pour un service de qualité à un taux horaire défiant toute concurrence, un peu de la même manière que l'étaient devenus certains pays d'Asie pour les matériels informatiques. Ainsi, au fil du temps, les abonnés de tel ou tel fournisseur d'accès à Internet ne s'étonnaient-ils plus en contactant leur service client, de l'accent parfois chantant de leurs interlocuteurs.

 

Malgré les incises fin 2012 du Ministre du redressement productif et ses appels à la "relocalisation" de la relation client, cette activité de centres d'appel "offshore" se portait donc plutôt bien. Jusqu'à aujourd'hui. Car c'est la première fois qu'un mouvement social d'ampleur, qui plus est au sein d'un leader historique du secteur, gagne aussi complètement la sphère médiatique française.

 

Après le mouvement largement médiatisé qui a secoué FOXCONN, le sous-traitant chinois d'Apple pour in fine obliger le constructeur à s'engager sur des améliorations des conditions de travail, c'est donc au tour de partenaires tunisiens jusqu'ici d'une discrétion "exemplaire" de se manifester. La délocalisation se confirme ainsi comme une stratégie à double tranchant dès lors que l'information circule à peu près librement. Quand le "c'est pareil" qui a fait les beaux jours de l'argumentaire commercial de cette activité s'applique tout à coup au social, cela devient plus difficile à valoriser pour les opérateurs concernés.

 

En portant à la connaissance des clients directs et indirects de Téléperformance les motifs de leur colère, les grévistes font un joli coup médiatique et peuvent gagner une bataille sociale très symbolique - il n'est qu'à lire les éléments de langage très prudents publié par l'employeur : "Dans un contexte national extrêmement spécifique et complexe qui ne simplifie pas le dialogue syndical, la société Téléperformance reste particulièrement attentive au respect de ses obligations sociales et sociétales" (AFP)

 

Le phénomène est toutefois à observer dans la durée. D'abord pour guetter l'apparition d'éventuels émules. Ensuite pour  mesurer les effets de cette "revendication exportée" en matière d'investissements sur le territoire : l'absence d'impact à six mois sur les investissements étrangers tendrait à prouver que les salariés tunisiens ont raison de porter leur combat au-delà de leurs frontières. Au contraire, un ralentissement tendrait à prouver que les entreprises concernées cherchent déjà un nouvel Eldorado.

 

Enfin, du point de vue de la gestion de la communication et de la conduite du dialogue social, cela pose un certain nombre de questions et appelle à de nombreuses adaptations pour les entreprises concernées. En matière de communication, la libéralisation de l'information dans des pays qui, jusqu'ici, ne laissaient rien filtrer, permet à présent aux salariés de s'inspirer plus largement qu'auparavant des revendications sociales des "riches" - notamment en matière de mobilisation et de négociation - et de sensibiliser le client final par delà des frontières. Toute la palette d'outils de communication interne, qui intervient classiquement le plus en amont possible de tout conflit, va obligatoirement se structurer et se professionnaliser sur des sites qui n'avaient jusqu'ici, au mieux, que la version électronique du journal interne à leur disposition.

 

Les méthodes de gestion du conflit des représentants des salariés devenant elles aussi, plus sophistiquées sur ces mêmes unités de production, il y a fort à parier que la technicité du dialogue social et des négociations va elle aussi devoir progresser, avec la difficulté supplémentaire induite par une gestion du conflit très différente en fonction des pays.

 

2 avril 2013

La virgule sociale du Printemps Arabe
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