L'imbécile, le fond et la forme (un billet écrit avec une once de mauvaise foi)
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« La mémoire est l’intelligence des sots ». Une bien belle citation de Montherlant que l'on trouve dans sa pièce de théâtre, Fils de Personne, dont la première eut lieu à une période de l’Histoire que son auteur tentera ensuite, à propos de mémoire, de faire oublier autant que possible. Il ne fut d’ailleurs pas le seul dans ce cas.
Si la mémoire est vraiment l’intelligence des sots alors tant pis pour nous. On a en effet, ici, assez bonne mémoire. Ce qui rend difficilement supportable, et c'est le propos du jour, la lecture de certaines « chroniques du pouvoir » et autres livres écrits en bien peu de temps pour pouvoir profiter au mieux de l’actualité. Et ceci alors qu'il faut bien admettre à regrets, que les rares passages réellement documentés de cette littérature sont nécessaires à la pratique de certains métiers, dont le nôtre. C'est bien dommage.
Après plusieurs mois d’une cure de désintoxication de ces publications qui, passées le troisième chapitre, nous tombent systématiquement des mains en nous arrachant des bâillements et autres picotements aux yeux, voici qu’un nouvel opus avait fait irruption en ce beau mois de janvier 2014 et admettons-le, les extraits étaient excellents. Comme d’habitude, certes, mais en un peu mieux. Alors on replonge. On achète. On lit. Et on peste.
Une fois encore, l’œuvre est le fruit de « nombreuses années à suivre » le principal intéressé. On a ici affaire à une journaliste chevronnée à qui on ne la fait pas, et qui va tout balancer. Ce qui, nous le savons déjà, est faux, personne ne balance jamais rien. Sinon on ne pourrait plus sortir acheter son pain sans être l’otage d’une manifestation de mécontetement populaire brutale et tout aussi brutalement réprimée par les forces de l’ordre (en particulier près de la Bastille).
Il est par ailleurs déjà connu, sans prétention aucune (un bachelier fraîchement diplômé ayant un peu réfléchi dira de même au bac philo), que l’on n'apprendra rien sur le fond – car nous en apprendre sur le fond nécessiterait pour les auteurs de prendre le recul du temps et de la réflexion, qui manquent le plus souvent à cette catégorie de la littérature.
Par ailleurs, le rapport de force sur notre échiquier politique évolue peu - contrairement à l'échiquier économique, ceci expliquant peut-être cela - et l’électeur n’aime pas les sujets de fond, ceci étant dû au fait que huit minutes télévisées pour les personnages de premier plan ou 140 caractères sur Twitter pour les autres, ne permettent pas au citoyen même éduqué, de disposer d'une mise à jour convenable sur les sujets de fond.
Une précision, si elle est encore utile: le fond n'intéresse pas l'électeur en-dehors de ce qui constitue le « fond de sa pensée », un fond suffisamment stable pour que l’on répète inlassablement que « l’élection présidentielle se gagne au centre » (en fait plus particulièrement les « indécis », en synthèse moins de 5% du corps électoral dans une France qui paraît-il, serait de droite, révolutionnaire et nostalgique de sa monarchie… oui ça ne veut rien dire).
Il reste donc la forme, qui constitue le fond (encore) de commerce de ces livres qui nous promettent la « vérité » (promettre une grosse migraine serait plus exact). Et quand on touche à la forme on n’est pas loin du fond (private joke de conseiller, adage certes pauvre dans sa formulation mais rarement démenti).
La vérité, donc : des choses fortes, par exemple les boissons qui furent servies aux journalistes pendant l'entretien, la couleur de la nappe ce jour-là (ça accréditera bien auprès du lecteur ébahi, le fait que notre journaliste était vraiment là) et tous ces petits codes sympathiques entre initiés, bref on est content de faire partie de la famille, on comprend les sous-entendus, c’est formidable. Une vraie famille.
On constatera aussi deux phénomènes récurrents dans cette littérature politique ou économique aux titres qui ne s’embarrassent plus d’aucune nuance (comme ce billet, il est vrai) - « Le déclin de… », « Le destin…. », « Tout va bien… », « Tout va mal… » - et écrits en une durée moyenne de huit jours à un mois (pour les plus documentés).
Phénomène récurrent 1/2 : c’est mal écrit, mal écrit, mal écrit, de plus en plus mal écrit. Et ce malgré quelques tentatives désespérées de faire du style (des constructions qui voudraient bien copier les premiers livres de Pennac : « il allait devenir le-président-qui-allait-faire-baisser-le-chômage » : tournure ampoulée, consistant à créer à grands renforts de tirets, des mots composés à rallonge…quand ils ne comportent pas, en plus, une vilaine faute d’accord).
Un « style » dont le premier impact reçu par les lecteurs sans défense avait été, début 2013, l’emploi du « ce » à tout crin. Exemple : « On projette de donner un crédit supplémentaire aux centres régionaux de recherche vétérinaires, ces unités de proximité spécialisées ». Insidieusement mais sûrement, le tic de langage a infesté presse, notes de cadrages, mails, voilà c’est fait, on en prend pour cinq ans, minimum.
L’intelligence des imbéciles de Montherlant permet aux dits imbéciles de repérer la différence entre le journal d’aujourd’hui et son « innovation » stylistique et ceux publié durant l’année passée.
Phénomène récurrent 2/2 : les auteurs de ces « livres » arrivent toujours, à force de donner le menu servi dans l’avion et le temps de cuisson de l’œuf à la coque servi au Chef, à se prendre les pieds dans le tapis (pourtant on a bien lu : ils « suivent » le sujet de leur étude depuis dix ans), assez souvent sur un sujet idiot mais révélateur d'une maîtrise perfectible du dossier.
Un exemple récent en lisant notre nouveau « Saint Simon » - on tronque les citations par charité : « il fait faire son tout premier costume sur mesure en 2013, un cadeau qui lui est fait pour 1000 euros chez un tailleur français…». Malheureusement, en 2012, dans un article « autorisé » d’un mensuel économique sur les gardes robes des uns et des autres, à propos du même : « il est fidèle à son tailleur turc pour des costumes sur-mesure à 1500 euros… ».
Oui c’est mesquin comme exemple mais ça soulage. Coup de chance pour nos journalistes d’investigation et conseillers en communication – on se met dans le lot, le «fact checking » vient à peine d’arriver en France, ce qui fait encore plusieurs années de tranquillité pour tout le monde !
C’est là que l’on repart pour une cure de six mois avec, pour unique lecture, les quelques quotidiens et hebdomadaires qui n’ont pas mis à la porte tous leurs secrétaires de rédaction et ont gardé auprès d’eux quelques plumes acceptables. Un gain de temps considérable pour nous autres imbéciles qui, souhaitons-le, sommes chaque jour plus nombreux.
21 janvier 2014