"Patriotisme", "protectionnisme" : les mots et la réalité autour d'Alstom

L'histoire du programme Concorde n'est pas comparable à celle d'Alstom, toutefois elle reste éclairante. D'abord Concorde a souvent été assimilé dans la mémoire collective à une technologie franco-française : pourtant il s'agit de la jonction entre deux programmes à l'origine distincts, britanniques (Bristol Aeroplane Company) et français (Sud Aviation).

Ensuite parce que l'interdiction des vols de Concorde dans la plupart des aéroports américains est mise en avant, dans la plupart des rétrospectives qui lui sont consacrées, pour expliquer l'échec commercial absolu de cet avion pourtant devenu légendaire. Or le principal problème de Concorde fut l'absence totale d'étude de marché sérieuse en amont de sa commercialisation et le coût pharaonique de sa maintenance. Le prix des carburants acheva de dire la messe. Pourtant, ce sont encore aujourd'hui les "vilains" américains qui portent la responsabilité de cette déception commerciale.

Sur le fond, la décision des américains était à l'époque efficace et pleine de bon sens : en retard sur le développement supersonique, les normes environnementales notamment sonores, permettaient aux avionneurs américains de prendre leur temps pour décider ou non du développement de cette technologie pour l'aviation civile. Quarante ans après, aucun avioneur n'a abouti la mise sur le marché civil d'un supersonique de grande capacité. Au moins ce protectionnisme "déguisé" procédait-il d'un raisonnement stratégique et non pas d'une réaction émotionnelle devant le fait accompli.

L'émotion est en effet au coeur de ce "patriotisme économique" devenu mantra de la communication gouvernementale mais aussi de certaines fédérations patronales.

Au fond qu'en est-il ? Des industriels implantés en France assurent à notre territoire des dizaines de milliards d'Euros de production. Au-delà d'une implantation stratégique de leur production sur le territoire européen (vs. le coût souvent faramineux d'exportations de la part d'industriels originaires de pays non adhérents à l'Union) il semble que la qualité industrielle de la France leur convienne. Toyota, General Electric (eh oui), Boeing... les exemples abondent. Voilà qui devrait flatter notre patriotisme.

Or les effets de manche sur nos "champions nationaux", qui sont de retour avec le dossier Alstom, peuvent nous coûter cher en termes de signal adressé à ces investisseurs très présents (les USA sont encore aujourd'hui, numéro 1 des investissements directs étrangers dans l'Hexagone). Ces "champions" qui ne sont plus si "nationaux" que cela. Par exemple, le président de Schneider Electric Jean-Pascal Tricoire, sollicité pour être le chevalier blanc d'Alstom a fait savoir (depuis son bureau situé à... Hong-Kong) que la France n'était pas son premier sujet stratégique.

Dans le même temps, les contradictions de nos engagements européens ne permettent pas à l'Union européenne, en l'état, de parler d'une seule voix dans les négociations commerciales internationales. En clair, impossible pour l'Europe aujourd'hui d'adopter une défense coordonnée sur un sujet commercial aussi efficacement que les USA le font régulièrement, Concorde n'étant que l'exemple le plus connu.

Quel est le patriotisme en l'espèce : préserver des emplois, voire en créer de nouveaux, quitte à ce que la cocarde de l'employeur change de couleurs ? Ou persister en une lecture purement politique de notre tissu industriel ? Fallait-il empêcher le Chinois Dongfeng d'entrer au capital de PSA pour être certain de pouvoir affirmer que le constructeur était bien "français" ?

La préoccupation de souhaiter conserver une partie des centres de décision en France en cas du rachat d'un industriel est un élément important tout comme l'est l'attention portée à la cohérence en termes d'emploi (y compris les emplois induits - sous-traitance, intérim...- qui sont encore plus nombreux à être concernés). Mais si les mots ont encore un sens, cela ne relève pas en soi du "patriotisme" économique tel qu'il nous est présenté. Ce dernier ne correspond à aucune réalité tangible : les capitaux ne sont plus majoritairement français depuis longtemps, et la "marque France", ce concept développé de bric et de broc en 2013 par un groupe de travail mandaté par quatre (à l'époque) ministres de Bercy et auquel participait d'ailleurs la présidente pour la France de General Electric, cette "marque France" n'a que le sens que chacun veut bien lui donner.

Le marché est toujours seul arbitre, et au fond chacun des protagonistes du psychodrame qui se prépare autour de la cession d'Alstom le sait bien : le tout est de sauver les apparences, ce dont Jeffrey Immelt, CEO de General Electric appelé sans ménagement en audience à l'Elysée, a tout à fait conscience au moment où, ce matin, il passe la porte du Président de la République.

François Hollande lui donnera, selon toute vraisemblance, son accord en privé avant de laisser la classe politique toute entière partir à l'assaut des moulins à vent de la mondialisation. A quelques semaines d'élections à haut risque, il eut été plus simple de dire aux Français la vérité dès le début sur la vente d'Alstom qui ne fait qu'avaliser une succession d'hésitations stratégiques. Hésitations dont la responsabilité est collective... tout comme l'est également l'indignation soulevée par le projet de rachat de GE. Une explication comme une autre de ce regain de "patriotisme".

"Patriotisme", "protectionnisme" : les mots et la réalité autour d'Alstom
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